Maître GINESTET-VASUTEK
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La majorité des divorces sont demandés par les femmes. Pourquoi ce sont elles alors qu’ensuite elles payent fréquemment le prix fort, comme on le voit avec le niveau socio-économique des familles monoparentales avec une femme à la tête ? Les raisons ne relèvent pas de ce type de rationalité, elles reposent avant tout sur une expression personnelle : se séparer pour rester un « individu ».
Plus que les hommes, les femmes éprouvent un tel besoin. Pour le comprendre, il faut faire un détour par l’histoire du divorce en France. Dans le mariage bourgeois, encore dominant au début du vingtième siècle, comme modèle de référence, l’homme a une « épouse-mère » à la maison qui garantit la légitimité de la reproduction et qui l’accompagne en représentation. Il a par ailleurs sa vie, professionnelle, ses loisirs masculins et une relation sexuelle et même affective avec sa maîtresse.
Les hommes sont heureux de ce fractionnement de leur existence. Ils n’ont jamais demandé l’inscription du divorce dans la loi. Ce sont les femmes qui ont voulu avoir le droit de se séparer de leur mari, refusant d’avoir un homme qui ne soit que « là », assez indifférent. Cette revendication s’est amplifiée dans les années 1970, avec le mouvement des femmes : les femmes ont refusé d’être niées (« il n’a même pas vu que j’avais changé de coiffure »), d’être gommées. Le divorce, vu du point de vue des femmes, est une des modalités de l’émancipation.
A la lecture des longs récits de séparation, j’ai découvert plusieurs types de divorce ou de séparation en lien avec la vie conjugale antérieure. Schématiquement bien sûr, trois séparations peuvent être distinguées.
La première c’est celle des femmes qui ont tout misé sur le couple et la famille, quitte à renoncer à beaucoup de choses pour elles-mêmes. A un moment, elles se rendent compte que leur mari, lui, a peu investi, voire même a cherché ailleurs des satisfactions sexuelles et affectives. Elles se sentent niées aors elles explosent et font une rupture franche.
La deuxième séparation est nouvelle dans l’histoire. Ce sont des femmes qui veulent avant tout se réaliser elles-mêmes. Leur conjoint les accompagne dans cette construction de soi jusqu’au jour il ne joue plus ce rôle, d’après elles. Ces femmes pensent qu’elles sont à une autre étape de leur développement personnel : elles doivent avancer, et passer à autre chose, sans ce partenaire. Elles peuvent garder cet ex comme un ami puisqu’elles ne le haïssent point.
Le troisième type est un compromis entre les deux autres. Ces femmes ont concilié à la fois une vie personnelle, un engagement dans la vie professionnelle et une vie conjugale et familiale. Elles ne veulent renoncer ni à leur « je » ni au « nous » familial. Quelques années après, elles peuvent être déçues par ce qu’elles désignent comme l’égoïsme masculin, leur compagnon privilégiant trop son « je ». Elles lui en veulent et le quittent douloureusement. On peut donc dire qu’on se sépare comme on a vécu.
La séparation transforme l’amour à deux niveaux. Au premier, le fait que le divorce soit un événement possible modifie l’imaginaire amoureux : l’amour peut naître plusieurs fois le long de la vie (ce n’est pas pour autant de la polygamie, contrairement à ce qu’affirment certains commentateurs). Il n’est plus unique.
La seconde transformation vient de ce que la plupart des femmes ne veulent rester avec leur compagnon ou mari que si ce dernier est suffisamment attentif à elle. L’amour devient de plus en plus conditionnel : on ne continue que si le bilan est positif.
Les femmes ne notent pas encore leur mari, mais c’est tout comme ! Il est mis sous surveillance, il ne suffit plus d’être « mari » pour le rester ! De nombreux hommes ne comprennent pas, se contentant trop d’être simplement « là », et de perpétuer la routine familiale. Devenu plus fragile, plus conditionnel, l’amour est donc devenu plus exigeant !
Source : http://leplus.nouvelobs.com, Le 14-11-2011
Par François de Singly Sociologue, Edité et parrainé par Amandine Schmitt